lundi 27 novembre 2017

Du visible à l'illisible, Musée Singer-Polignac (Sainte-Anne), Paris 2013.

Avec : Maurice Blin, Auguste Millet, Alfred Passaqui, Unica Zurn, Hans Bellmer, Maurice Utrillo, Gaston Chaissac, Séraphine de Senlis, Jean Dubuffet, Antonin Artaud, Pascal, Jill Galliéni, Dan Miller, Dwigh Mackintosh, Nicolas Aiello, Michel-Henri Viot et Claude Lévêque.




Le Centre d’étude de l’Expression est heureux de présenter sa nouvelle exposition proposée au Musée Singer-Polignac, Du visible à l’illisible.
La nouvelle exposition, autour de la Collection Sainte-Anne, est consacrée aux écrits et aux manuscrits. L'objectif de cette exposition est de réfléchir au sens de la représentation de l’œuvre écrite, en lien avec le fond et avec la forme de celle-ci.
La lecture d'un manuscrit induit une troublante proximité entre celui qui a produit et celui qui reçoit. La main, qui trace les lettres et leur donne une forme toute singulière et propre à chacun, est le prolongement du corps.
Comme si le langage, la parole et le déroulement de la pensée, étaient ancrés dans le corps, dépassant ainsi la matérialité de l’œuvre. La structure d'un langage quelle qu'en soit la forme, mais surtout dans sa forme écrite, est un espace de construction qui a le pouvoir ou la capacité de contenir la pensée, voire même de lui éviter une déstructuration.
Le caractère exceptionnel de cette exposition tient non seulement à son thème, mais également aux artistes qu’elle propose. Ainsi, les œuvres choisies regroupent-elles des artistes présents dans la Collection Sainte- Anne tels que Maurice Blin, Auguste Millet ou Alfred Passaqui. Mais également des « manuscrits venus d’ailleurs » qui rassemblent alors des textes d’Unica Zurn, Hans Bellmer, Maurice Utrillo, Gaston Chaissac, Séraphine de Senlis et Jean Dubuffet. Des lettres inédites écrites par Antonin Artaud alors qu’il était hospitalisé à Sainte-Anne seront présentées. Les langages très particuliers de Pascal, Jill Galliéni, Dan Miller et Dwigh Mackintosh seront aussi mis à l’honneur. Enfin, Nicolas Aiello, Michel-Henri Viot et Claude Lévêque, à travers leurs travaux contemporains, jouent également avec le langage afin de créer de nouvelles formes d’écriture et d’expressions.


Les lignes et signes créés par Nicolas Aiello sont des traversées dans le temps ( Revealed De Kooning Drawing) et dans l’espace (RTF), dans l’histoire d’une ville et de ses habitants (Square Beethoven). Les cheminements que cet artiste voyageur dessine recréent une cartographie où l’émotion se mêle au témoignage.

Dans “RTF”, Nicolas Aiello a littéralement créé une nouvelle typographie à partir de ses trajets quotidiens et, à l’instar de sa série “Pa(ysa)ges, il a transformé les paysages en pages. Cette écriture abstraite porte la mémoire des lieux arpentés par l’artiste. Montreuil, Paris et le centre Pompidou, Aulnay sous bois, le village de Saint Pierre des Champs dans les Corbières, Berlin, New York: autant de lieux photographiés sans relâche à l’aide de l’appareil le plus rudimentaire possible (l’appareil photo du téléphone portable de l’artiste) et transformés ensuite à l’aide d’un logiciel de traitement de texte en signes plastiques. Les formes géométriques non dénuées d’austérité écrivent l’autobiographie urbaine de l’artiste. Les lignes rythmées par le noir et le blanc sont les traces des pérégrinations du dessinateur à travers la ville, l’empreinte de son regard sur la ville devenue gigantesque réservoir de signes.

Comme il traverse la ville et en révèle la typographie, Nicolas Aiello traverse l’histoire de l’art pour déchiffrer l’indéchiffrable. En 1953, le jeune Robert Rauschenberg, explorant les limites de l’art, demande à Willem de Kooning, artiste qu’il vénérait, de lui donner un dessin qu’il pourrait effacer. De Kooning lui donna un dessin très difficile à effacer mais Rauschenberg y parvint. En archéologue, à l’aide des traces laissées par la gomme de Rauschenberg, Nicolas Aiello, dans sa video “Revealed De Kooning”, reconstitue peu à peu le dessin initial. Lentement, au fil de la vidéo-palimpseste, le dessin, ou plutôt son interprétation, se révèle et tel un fantôme, apparaît.

Dans “Square Beethoven”, l’arpenteur se joint à l’archéologue. Le square Beethoven désigne des immeubles qui ont été détruits et sur lesquels donnait l’atelier de la rue du Bel-Air où travaille l’artiste, à Montreuil. Chaque petit carré de la série est constitué à partir de la superposition d’un dessin et d’une photographie. Le dessin est une sorte d’écriture automatique réalisée à l’encre noire, où le spectateur attentif et patient pourra déchiffrer des mots, des notations du quotidien, des impressions. Cette micrographie, qui évoque les microgrammes de Robert Walser, forme une dentelle fine et délicate, qui révèle la texture des mots plus qu’elle ne forme un texte. Les mots qui cheminent à travers tout l’espace de la feuille, dans une écriture réalisée avec la patience d’un moine copiste, d’une brodeuse ou d’un tisserand, sont autant de fils créateurs de liens, formant un tissu graphique, un tressage de lignes. Nicolas Aiello superpose à ces écritures des photographies en gros plans de paumes de mains de passants, prises dans le Square Beethoven, imprimées sur des petits carrés de celluloïd: “ce qui m’intéresse, ce sont les traces du temps, de l’histoire de la personne, les marques d’usure, du travail, les plis, la pigmentation de la peau qui, imprimés très légèrement, deviennent un signe graphique”. Un signe graphique très dense, empli de temps et de mémoire, à l’instar de l’oeuvre de Roman Opalka. 


 Texte, pour le catalogue de l'exposition, de Leïla Jarbouai, conservatrice au Musée d'Orsay, chargée de la collection arts graphiques.


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